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Regards sonores sur Exporama #2

Le par Héloïse
Art et Culture
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Cette année, le visage d’Exporama se cache derrière un cornet de glace trois boules, dessiné par l’artiste Lisa Carpagnano. Derrière la généreuse crème glacée, aussi garnie que le planning des expositions rennaises de cet été, les yeux surlignés de bleu d’une jeune fille aux cheveux roses. Dans nos yeux, à C Lab, se reflète la fraîcheur de la création contemporaine, que nous vous invitons à savourer sans attendre… Zoom sur quatre expos sélectionnées parmi la programmation de l’événement estival dédié à l’art contemporain à Rennes…

L'appel du 18 juin

En 2025, l'appel du 18 juin a été lancé par une artiste taïwanaise, Hsia-Fei Chang. Installée à Paris depuis 20 ans, la performeuse a fait le déplacement à Rennes, répondant à l'invitation de l'association Noir Brillant. Après avoir posé pour des dessinateurs et dessinatrices de la Place du Tertre, à Montmartre, elle a lancé un appel aux Rennais·es : à elles et eux, maintenant, de la croquer ! Le but de Hsia-Fei Chang : explorer les stéréotypes culturels et de genre, et jouer avec l'image de la belle jeune femme asiatique réifiée, dévolue au divertissement d'autrui.

© Louanne Boilleau

Retour au 18 juin dernier : les chevalets se déplient et les artistes sortent pinceaux et crayons, sous la nef de l'ancienne église Saint-Laurent-des-Vignes... En face d'elles et eux, un canapé, sur lequel s'apprête à s'immobiliser, pour deux heures, Hsia-Fei Chang. Poser nue est une première pour l'artiste. Être modèle en revanche, n'est pas un rôle nouveau pour elle. La performeuse a offert son visage aux dessinateur·rices da la célèbre place du Tertre, à Montmartre, réputée pour ses portraitistes. "Je me suis fait dessiner par de très bons dessinateurs mais aussi par des débutants, par des Chinois, des Marocains, un Yougoslave à l'époque...", se rappelle Hsia-Fei Chang. Une multitude de profils dont les portraits reflètent plutôt les personnalités et parcours des artistes que ceux de leur sujet. "Moi, je suis toujours la même personne, mais vue par différentes cultures, précise-t-elle. Ce qui m'intéresse, c'est l'histoire des individus. C'est aussi un questionnement politique : beaucoup d'immigrants viennent dessiner sur la place, parce qu'ils ne trouvent pas de boulot. C'est aussi une réflexion sur la bourgeoisie : j'emprunte la pratique traditionnelle du portrait, non pas pour m'afficher chez moi, mais pour parler et faire parler de gens qui ont besoin de gagner leur vie."  Les 32 portraits nés de ces rencontres sont exposés jusqu'au 27 juillet 2025 par Noir Brillant, sous la voûte de l'église de Delphine Lecamp, co-fondatrice de l'association aux côtés d'Anita Gauran.

En invitant les Rennais·es à venir la dessiner nue, Hsia-Fei Chang cherche à reproduire la vision académique d'un cours de Beaux-Arts, en l'ouvrant à toutes et tous. "Mon but n'est pas du tout d'inventer quelque chose de nouveau, souligne la performeuse. Je veux respecter la tradition, en rappelant qu'au final cela reste un geste populaire. Un peu comme dans Titanic, quand Jack dessine Rose", ajoute-t-elle dans un sourire. 

Questionnée sur la difficulté de se mettre à nue, Hsia-Fei Chang balaie de la main toute crainte d'objectification. "C'est un métier comme les autres !, affirme-t-elle. Il y a des conventions, des règles à respecter. Pour moi, c'est aussi un challenge. Je ne sais pas si ça va être très désagréable ou pas. C'est une performance avant tout."

Cui Cui

Ça gazouille à La Longère... Depuis l'automne dernier, l'association Basalt : Sons et Curiosité a fait son nid dans de nouveaux locaux, au bord du Canal Saint-Martin. En coproduction avec la maison Lendroit Éditions, elle propose l'exposition Cui Cui. Une installation tournant autour des oiseaux, et plus particulièrement de leurs chants, pour aborder la relation entre les humains et le vivant, mais aussi l'appauvrissement de la biodiversité. En mêlant enregistrements, reproductions et imitations de chants d'oiseaux, l'exposition offre un chorus avicole, provocant la rencontre entre des espèces qui ne se côtoient pas dans les espaces naturels.

"Quand on rentre, l'exposition est silencieuse et plus on avance, plus il y a des chants d'oiseaux qui se superposent, grâce à des capteurs. Petit à petit, on crée donc un paysage sonore complètement fictif", explique Damien Simon, coordinateur et directeur artistique de l’association Basalt

Diffusion d'une captation de Recording Angels, projet de l'artiste Aleksander Kolkowski mettant en avant la serinette, dispositif du 18ème siècle pouvant répéter en boucle des mélodies pour les apprendre aux oiseaux ; installation de sifflets à eau en céramique imitant des chants d'oiseaux créée par Sandra Boss et Katrine Würtz ; exposition des premiers systèmes d'enregistrement de la voix et d'un gramophone pour écouter les premiers chants d'oiseaux captés... L'enregistrement et l'imitation des chants d'oiseaux n'aura plus de secret pour vous après l'expérimentation de Cui Cui.

© Jérémie Gindre

Mais la reproduction des cris des volatiles n'est pas l'unique objet de l'exposition, s'inscrivant dans un contexte environnemental plus qu'inquiétant pour les oiseaux. Est par exemple exposé le travail de Wolfgang Müller, qui a demandé à onze musicien·nes et chanteur·euses d'imaginer les cris et chants d'espèces disparues. De son côté, Sentinelle, œuvre imaginée par l'artiste Lydie Jean-dit-Pannel, s'impose comme un avertissement. Cette tour de bois d'un peu plus de 3 mètres est surmontée de haut-parleurs évoque une sirène, recrachant le cri du Geai des chênes. Un oiseau aussi connu sous le nom de Sentinelle de la forêt, alertant les autres espèces de l'arrivée d'un intru sur leur territoire, et donc d'un danger imminent. Juste derrière, un mur de 5 mètres sur 6 est garni de pochettes de 45 tours, des enregistrements d'oiseaux, bien sûr, disposés de manière à former le mot SOS en code Morse. Pour finir, la restitution d'un projet scolaire avec l'école Trégain de Rennes donne la parole aux générations futures. Accompagné·es par l'artistes Valérian Henry et l'ornithologue Marceau Boré, les élèves ont participé à des sorties aux Prairies Saint-Martin, organisées avec la Ligue pour la Protection des Oiseaux, également hébergée à La Longère. En sont sorties deux cassettes bouclées : sur l'une, on entend les sons d'un environnement naturel, ponctués de chants d'oiseaux; sur l'autre, des bruits de travaux. Le titre de l'œuvre : Printemps Bruyants, une référence au livre Printemps Silencieux de la naturaliste Rachel Carson qui, dans les années 70, mettait déjà en garde sur le devenir des écosystèmes.

Cui Cui est à découvrir gratuitement jusqu'au 3 août à La Longère, et jusqu'au 2 octobre 2025 à la galerie de Lendroit Éditions et sur les affichages en 4x3 de l'avenue Aristide Briand de Rennes.

Pharmakon / Reboot

Prenez soin de vous, entrez dans le monde de Violaine Lochu. Un univers contenu au sein du centre d'art contemporain La Criée, où la chanteuse et performeuse offre Pharmakon / Reboot, une installation sonore et vidéo. Avec ses chants de guérison et le pouvoir de sa voix, l'artiste invente un rituel-remède, fait de costumes-partitions et de poésie sonore. Pas besoin de mutuelle, c'est gratuit. 

"Elles chantent les plantes", murmurent Amandine Braud. Assise sur un grand tapis vert, aux côtés de sa stagiaire Élodie Coulon, la médiatrice culturelle de La Criée regarde à tour de rôle les trois écrans qui l'entourent. On peut y voir Violaine Lochu sur l'un, et ses comparses Yael Miller sur l'autre et Flor Paichard sur le suivant. "Toutes les trois interprètent des chants imaginaires, des chants de plantes, poursuit Amandine Braud. Elles chantent la verveine, le plantain, le chou, l'armoise, le sureau..." Autour des deux femmes également, sont suspendues les capes-partitions portées par les performeuses dans la vidéo. Des capes inspirées des formes des plantes, mais aussi de leurs propriétés médicinales. "Sur les écrans, les artistes chantent et dansent la verveine. C'est une plante qui a des vertus liées au féminin, à la grossesse, qui est apaisante et calmante", précise Élodie Coulon. "En rencontrant des ethno-botanistes, des herboristes et des guérisseurs, Violaine Lochu s'est inspirée des informations gestuelles et symboliques liées à ces plantes pour créer son propre langage. Elle a ainsi imaginer une partition vocale et gestuelle pour chacune d'elle", explique Amandine Braud.

Vue de l'exposition Pharmakon / Reboot de Violaine Lochu, La Criée centre d'art contemporain, Rennes, du 05 juin au 07 septembre 2025 - Photo : Estelle Chaigne © Droits réservés : Violaine Lochu, ADAGP Paris 2025

Plus loin, un rideau argenté fait de couvertures de survie, clin d'œil, là encore, au soin, ouvre sur la Salle des vœux. "De quoi aimeriez-vous guérir ?" C'est la question que pose l'artiste à travers cette exposition. Elle invite donc les Rennai·ses à venir déposer leurs vœux à La Criée. "Nous avons suivi une formation avec Violaine Lochu pour activer chaque semaine un protocole permettant la réalisation de ces vœux de guérison", partage Élodie Coulon. À partir de vœux précédents, la créatrice a procédé à des rituels sur la colline du Montaigu, en Mayenne, haut lieu spirituel depuis l'époque préhistorique. La preuve en vidéo, que l'on peut voir dans l'exposition. "Violaine Lochu a choisi cet emplacement pour son histoire et ses liens avec le soin. Le soin que l'on peut avoir envers sa propre personne, envers les autres, mais aussi envers les plantes, les végétaux, les animaux, le non humain, conclu Amandine Braud. En fait, cette exposition parle de la façon on prend soin de ceux, celles et ce qui nous entourent". À découvrir jusqu'au 7 septembre 2025.

Fleurs révoltées, Acier hacké

Cela pourrait être une forêt, ou une famille d'exosquelette. Pour son exposition au centre d'art contemporain 40mcube, Fleurs révoltées, Acier hacké, l'artiste Naomi Maury a imaginé une installation immersive, composée de sculptures, de lumière et de son. En interrogeant les notions de pouvoir, d'hybridation et de robustesse, elle nous invite à réfléchir au handicap, à nos corps, et à leurs évolutions. 

Cyrille Guitard, chargé de la médiation et de la communication à 40mcube, dévoile un environnement peuplé de sculptures et de dessins faits d'acier inoxydable, de laiton, de céramique et de tissus, mais aussi de formes lumineuses appelées Halos, inspirées de la forme de cellules. "L'artiste utilise en fait des outils et des équipements utilisés pour compenser des formes de handicap", explique-t-il. L'origine médical et la forme agressive de ces sculptures métalliques sont contrebalancées par un habillage sonore créant une atmosphère douce et calme. "On se situe dans une perspective de soin, rassure le médiateur. La lumière et la musique peuvent apporter un certain réconfort. L'artiste a créé du mobilier pour que les gens puissent s'asseoir et rester là, immergé·es et en contemplation." 

© Margot Montigny

La question du handicap est centrale dans le travail de Naomi Maury, qui a été en fauteuil roulant dans sa petite enfance. Selon Cyrille Guitard, "elle aborde la question du validisme en affirmant qu'il y a des corps différents, et que ces corps ont le droit d'exister et font partie d'un ensemble, celui des êtres vivants". Dans une perspective plus politique, elle affirme aussi que "cette notion de validisme provient en grande partie de sociétés tournées vers la productivité, l'efficacité, pointant du doigt les corps les moins performants, et créant des hiérarchies". La bande sonore accompagnant les visiteur·euses comporte plusieurs témoignages brisant de telles conceptions : celui d'une personne en situation de handicap, un autre recueilli auprès d'une soignante, mais aussi les paroles de quelqu'un dont le corps a été abîmé par le travail, et enfin le récit de la grand-mère de l'artiste.

"Ce qui importait, c'était de voir cet enfant que l'on avait devant nous, de l'aimer, de l'élever, de lui donner des valeurs pour qu'il se sente bien, d'éviter des souffrances, [...] de lui apporter notre amour", Jacqueline Maury, grand-mère de l'artiste

"Naomi Maury remet la question du handicap dans une perspective plus large, qui est celle du vivant, résume Cyrille Guitard. Elle dit simplement qu'en tant qu'être humain, nous sommes fait de la même matière, de la même chaire les un·es les autres. Toutes ces différences sont à la fois une richesse, en même temps elles sont presque accessoires par rapport à cette communauté qu'on devrait pouvoir former ensemble." L'exposition est visible gratuitement jusqu'au 21 septembre 2025.

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