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Chronique sur les dérives de l'amour : l'histoire de Judith Godrèche

Le par Milad Lejamtel (reporter savoirs, culture et découverte)
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Lui parle d’amour, elle parle d’emprise. A 51 ans, l’actrice Godrèche porte plainte contre Benoît Jacquot, réalisateur de cinéma. Les deux se sont rencontrés une quarantaine d’années plus tôt. Elle, rêvait d’être actrice, lui est déjà dans le monde du cinéma. Il a 39 ans, elle en a 14. Elle se souvient de sa deuxième question, pendant le casting du film Les MendiantsEt puis les deuxentament une relation, alors que la jeune fille n’est encore qu’en3e.

Lui parle d’amour, mais peut on parler d’amour ? Alors qu’aujourd’hui, Judith Godrèche porte plainte contre Benoît Jacquot, l’accuse de « viols avec violences sur mineur de moins de 15 ans commis par personne ayant autorité ». 6 ans de sa vie, 6 ans d’adolescence et de passage à l’âge adulte subtilisé, volé, «C’est une histoire d’enfant kidnappé »dira t-elle.


L’amour, il faut en poser les limites. Peut-être que la jeune Judith Godrèche pensait y voir de l’amour, mais cette image trouvait ses origines dans une relation où tout va trop vite, ou l’éducation sexuelle, l’initiation amoureuse, la rencontre et la maturation entre deux êtres n’a pas court. Peut-être pensait-elle y voir de l’amour, mais pressuré, sous dépendance, avec une inégalité de pouvoir entre les deux protagonistes d’un couple.



Pendant6 ans, Judith voit des choses qu’elles ne devraient pas voir, fait des choses qu’elles ne devraient pas faire, subit les violences de Benoît Jacquot, est parfois même coupée de toute vie sociale. Leschoses vont trop vite. Trop vite la voilà immobile, immobilisésocialement, et dans l’immobilier. Elle n’a pas 18 ans, qu’elle loge déjà, en 1989, avec le réalisateur.


La définition qu’on se fait de quelque chose quand on est enfant, c’est souvent le premier contact qu’on a avec cette chose. Ainsi en va t-il de l’amour. Il est évident que par la suite, sortie de cette emprise, la conception de l’amour a évolué chez Judith Godrèche a évolué, voire même au cours de sa relation avec Benoît Jacquot. Au micro de France Inter, Judith Godrèche dit : « Je n’ai jamais été attirée par Benoît Jacquot, j’ai été son enfant femme ». Lui parle d’amour, mais c’est celui qu’onréprouve ici, ailleurs, à C-LAB, l’amour sous domination, l’amourqui se consomme, l’amour unilatéral même.


On pourrait se dire sûrement que ma chronique tourne essentiellement autour de Judith Godrèche, que je suis en train d’écarter Benoît Jacquot de l’affaire. Et pourtant, si je fais cela, c’est bien parce que celle-ci dénonce le traitement médiatique du réalisateur. Il a été violent, il a été sadique, il a rompu, brisé le parcours de vie et le parcours sentimental d’une jeune fille puis d’une jeune femme, mais cela ne l’a pas empêcher de passer sur les plateaux télés, ici où là un film merveilleux, un réalisateur talentueux. Et Judith Godrèche dans tout ça ? Elle qui a sorti un livre pour parler de sa situation, « Point de Côté »en 1995. Le personnage, Juliette 21 ans, qui quitte une relation où elle ne se sent plus bien et retrouve le goût de vivre auprès d’une fille de 8 ans.

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«  Les désenchantés », film de Benoît Jacquot. Ici, il y a le « très beau film » pour citer Claude Askolovitch, le « si beau film » pour Laure Adler, la grande défenseuse de la cause féminine. Et pour exprimer la faille, le trou béant, entre le traitement médiatique du livre de Judith Godrèche et le film de Benoit Jacquot, il nous suffit d’écouter cet extrait.


Sur un plateau en 2010, Judith Godrèche est un peu comme Emma Bovary. Elle lit des romans, son imagination est en romanesque. Elle « se dit sous influence, mais c’est un homme inspirant ». Le temps presse, aujourd’hui, il faut mettre des mots plus juste sur ce qu’il s’est passé pendant 6 ans. Dans une lettre à sa fille, qui a 18 ans, un âge symbolique peut-être : « Je viens de comprendre. Ce truc le consentement, je ne l’ai jamais donné. Non jamais au grand jamais. 

Un âge symbolique, pour ne pas voir certaines choses se reproduire, quand on pense au livre « Les choses humaines » de Karine Tuil, prix Goncourt des lycéens. Le viol, ce n’est pas que des individus, c’est également un mécanisme social, mais même au-delà intersocial. Il n’y a pas une population, un milieu, un groupe qui y échappe.


Aujourd’hui, pour Judith Godrèche, il est trop tard. Non pas sa plainte, mais celle-ci à « toujours peur » dit-elle. Je cite, « Une enfant qui a peur, il a peur toute sa vie ». Mais il n’est jamais trop tard, pour transmettre, à sa fille notamment, à ses amis aussi. Lui voyait de l’amour, mais Judith Godrèche le rappelle : « Un enfant ne peut pas consentir, il n’a pas le pouvoir de consentir ».

Image de couverture : L'actrice Judith Godrèche lors du Festival du film américain de Deauville, en septembre 2023.
Crédit : LOU BENOIST / AFP

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